Résidence de Lucie Rico à Heidelberg
Un nouveau partenariat construit cette année entre l’agence, la Maison de Montpellier à Heidelberg et Heidelberg UNESCO City of Literature a permis à l’autrice du Chant du poulet sous vide (POL, 2020 ; Folio Gallimard, 2024) et de GPS (POL, 2022 ; Folio Gallimard, 2024) de bénéficier d’une résidence d’un mois sur les rives du Neckar. Avant de boucler ses valises et de se préparer pour la rencontre-lecture publique / sortie de résidence organisée le soir à la Montpellier-Haus, dans le cadre de la Semaine française, la romancière a pris le temps de revenir sur ces quatre semaines dédiées à l’écriture de son troisième roman, et ponctuée de rencontres avec le public et les professionnels du livre allemands.
A noter, dans la suite de la Semaine française à Heidelberg, une série de rencontres avec une autre écrivaine d’Occitanie, Jo Witek, et dont l’agence est également partenaire.
Occitanie Livre & Lecture : En quoi cette résidence a-t-elle servi le projet d'écriture qui vous occupe actuellement ?
Lucie Rico : C’est arrivé à un moment clé du projet et le plus fou c’est que ce roman se passe entre Elne, dans les Pyrénées-Orientales, et Mayence, en Allemagne. Durant la toute dernière nuit de sa grossesse, une femme joue à un jeu vidéo qui la transporte à Mayence, à l’époque de l'invention de l'imprimerie. Je n'étais pas vraiment allée en Allemagne, si ce n'est pour des lectures de mon premier livre, Le chant du poulet sous vide, dont la traduction allemande est sortie il y a quelques semaines. Et là, j'ai pu pendant ce mois approfondir tout ce qui a trait à la partie virtuelle du livre, c'est-à-dire tout ce qui est dans le jeu vidéo et qui se passe en Allemagne. Et c'était très intéressant parce que cela m'a permis de rencontrer beaucoup de gens qui connaissent bien ce contexte, de comprendre comment l'invention de l'imprimerie aussi avait pu advenir à ce moment-là, tous les échanges avec l'Italie, tous les enjeux entre Mayence et les autres territoires de l’Allemagne… comprendre aussi comment une ville ici comme Heidelberg pouvait fonctionner à ce moment-là, vraiment m'immerger dans une culture et une histoire que je connaissais très peu. C'était être projetée dans le livre sur lequel j’ai donc travaillé sans discontinuer pendant un mois, notamment à la bibliothèque universitaire de Heidelberg qui ne ferme qu’à 1 ou 2 h du matin tous les jours, un endroit assez extraordinaire, qui est classé.
Je crois que je n'avais pas encore réalisé, quand vous m’avez proposé cette résidence, qu’il me faudrait absolument aller en Allemagne et à Mayence (NDLR : à 1h30 en train de Heidelberg), parce que je ne pouvais pas écrire sur quelque chose que je connaissais aussi peu...
Et comme cette résidence a été pleine de bonnes surprises, j'ai appris que la traduction allemande du Chant du poulet sous vide était dans la dernière sélection du Prix Première de l’Institut français, qui récompense un livre traduit du français vers l'allemand, un prix assez important, plein de répercussions pour le livre et qui d’une certaine manière a inscrit mon travail d’autrice dans le paysage littéraire ici. J’ai reçu beaucoup de demandes d'interventions et de rencontres en Allemagne, pour lesquelles je reviendrai prochainement.
Occitanie Livre & Lecture : Il était important en effet de préserver votre temps de création durant ces quatre semaines. Votre éditeur allemand vous a d’ailleurs programmé des tournées hors des dates de votre séjour ici. Mais grâce à vos hôtes de la Montpellier-Haus et de Heidelberg UNESCO City of literature, vous avez tout de même été en contact avec un certain nombre de professionnels du livre et de lecteurs.
Lucie Rico : Oui, j'ai pu rencontrer des éditeurs, des traducteurs, des auteurs. J’ai notamment fait la connaissance d’un illustrateur avec qui j'aimerais éventuellement travailler à l’avenir. Et c'est vrai que j'ai découvert toute une communauté de gens qui s'intéressent depuis longtemps à la littérature française et avec qui j'ai pu échanger tout au long de la résidence, à la fois sur mon travail, et ça m'a aidé pour avancer sur mon manuscrit, et à la fois pour des projets futurs. J'ai lu des poètes d'ici, de Heidelberg, que je n'aurais sans doute pas connus autrement. Et je sais qu'il y a des auteurs que je continuerai à lire, Sofie Morin par exemple, avec qui ça a été une très belle rencontre. J’ai pu découvrir aussi comment marchait le système littéraire ici, comment ça marche par rapport aux à-valoir, par rapport aux éditeurs, par rapport aux projets et aux coopérations. Et ça m'a permis de comprendre un peu mieux le système éditorial allemand, pour mieux l'intégrer.
Occitanie Livre & Lecture : Ces quatre semaines de résidence vous ont-elles permis de développer votre projet ?
Lucie Rico : Oui, énormément. En arrivant, j’avais 30 pages de brouillons et là j’ai un premier jet du roman. J'ai écrit vraiment tout le temps. J'étais tellement immergée – ce qu'on n’a jamais ailleurs qu’en résidence, en fait – que tout était bon à prendre pour le roman : quand j'entendais quelqu'un parler dans la rue, les rencontres que j'ai faites, etc. Des gens m'ont contactée parce qu'ils avaient lu mon portrait publié dans la presse locale, par exemple un géographe que j'ai vu hier soir et qui a généreusement pris le temps de m’éclairer sur Mayence au Moyen Âge.
Même quand je sortais, j'étais encore dans le roman. Cette résidence a accéléré le processus, c'est exactement ce dont j'avais besoin. Comme j'ai deux enfants, que je me déplace beaucoup, je ne suis jamais immergée longtemps dans mon écriture. Changer de rythme, c'est aussi changer de rythme d'écriture. C'est un moyen d'entrer en soi, en tout cas différemment, de se reconnecter différemment avec ce qu'on fait. Je crois que c'est Jean-Philippe Toussaint qui dit que l'écriture est une apnée. Et ça je le sens très fort, ce truc de plonger dans un livre. Parfois, quand il faut aller chercher les enfants à 16h ou 17h, c’est très violent de remonter de cette apnée tout à coup et de devoir faire un goûter et de répondre à des étudiants et d'aller à un rendez-vous pour un film. Là, on ne s'occupe que de soi...
Sans cette résidence, je crois que je n'aurais pas fait le même roman du tout. Ce roman-là, je crois qu’il avait besoin de ça. Je crois que je serais restée plus en surface. Ce n’est pas seulement une question de temps, c’est que je n’aurais pas pu être dans le même état de concentration et abattre le même travail. Et maintenant qu'il y a cette base, je peux travailler à partir de ça. Voilà deux ans que je travaille sur ce projet, même un peu plus, mais je n'avais pas encore la structure. Donc à ce stade, celui du premier jet, je pense que c’était extrêmement précieux. D’où ma reconnaissance à Occitanie Livre & Lecture, car cela ne pouvait pas tomber à un meilleur moment, et bien sûr aux équipes de la Montpellier-Haus et de Heidelberg City of Literature qui ont été attentifs à toutes les petites choses dont je pouvais avoir besoin.