Éditrices et éditeurs indépendants : quelle liberté d'éditer aujourd'hui ? #1
Illustration : Yoel Jimenez
La liberté d’édition est une « catégorie » de la liberté d’expression, qui peut prendre des formes variées et utiliser des supports différents. La liberté d’édition relève de la liberté de choisir un auteur, de retenir ou de commander des textes, de les mettre en forme et de les publier, de les diffuser et de les commercialiser – ensemble des activités au cœur même du métier d’éditeur.
Être éditeur indépendant, c’est défendre la liberté d’éditer mais aussi le Fair speech*
Depuis la création formelle de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants**, au début des années 2000, les notions d’indépendance et de liberté d’éditer sont intrinsèquement liées. Dans la Déclaration des éditeurs indépendants et solidaires de Dakar en 2003, les membres évoquent notamment « la forte pression économique, le contexte de concentration financière de leur secteur, dominé par des groupes monopolistiques et prédateurs pour les marchés locaux, qui nuit à leur capacité de diffuser des idées, des valeurs et des propositions, de les mettre en débat ».
En 2014, dans la Déclaration internationale des éditeurs et éditrices indépendants, les membres de l’Alliance enrichissent la notion de liberté d’expression (free speech) avec l’idée d’équité d’expression (fair speech) :
« La lutte contre toutes les formes de censure (étatique, administrative, religieuse, économique et jusqu’à l’autocensure) est aujourd’hui encore un enjeu prioritaire. Le contrôle de la pensée ne passe pas par la seule censure. Dans un contexte de surinformation, de concentration des médias et de standardisation des contenus, il est essentiel de veiller à ce que la liberté d’expression ne serve pas uniquement la voix des groupes ou des pouvoirs dominants. Nous, éditeurs indépendants, défendons le Fair speech (équité d’expression), pour faire entendre la pluralité des voix garante de la bibliodiversité ».
L’équité d’expression revêt ainsi l’idée de protéger l’expression de minorités, de voix moins puissantes, plus fragiles – partant du principe, notamment, que les discours de haine qui sont parfois émis sous la bannière de la liberté d’expression marginalisent, invisibilisent, et passent sous silence les voix plus vulnérables ou minoritaires. Quels que soient les contextes et les réalités géopolitiques des maisons d’édition membres, quelles que soient les formes de censure qu’ils et elles subissent, les éditrices et éditeurs indépendant.e.s de l’Alliance se sont engagé.e.s à faire circuler des textes et des idées qu’ils/elles défendent, à faire entendre d’autres voix, à participer à la construction d’une pensée critique, à l’émancipation.
Si depuis 20 ans, les membres de l’Alliance – garants de la liberté d’expression aux côtés des journalistes, auteurs, blogueurs, libraires, artistes… – ont toujours alerté sur les phénomènes de censure à l’œuvre dans certains pays, de nombreux témoignages font part depuis quelques années de nouvelles formes d’atteintes à la liberté d’expression, notamment dans un moment où les pressions et les limitations qui s’exercent sur la parole publique se renforcent.
En effet, dans le contexte actuel de la montée contemporaine des autoritarismes, des conservatismes, des ethno-nationalismes et des fondamentalismes, dans une ère de « post-vérité », il semblait nécessaire de faire un travail collectif de prise de conscience, d’analyse et de documentation, de ces censures aux multiples visages auxquels les éditrices et éditeurs sont également confronté.e.s.