Les auteurs lauréats d'une bourse de création en 2023

7 autrices et auteurs d'Occitanie ont reçu lors de la 1e session 2023 une bourse de création littéraire pour les soutenir dans leur projet de création en cours. Découvrez-les...

Éric Cherrière

© Garance Pfigny 

Éric Cherrière est un ami, rencontré il y a plus de vingt ans sur les bancs de l’ENSAV, précieuse école d'audiovisuelle toulousaine, nous nous sommes rapidement liés autour de la même passion, le cinéma « de genre ». Avec pour repère, le cinéma de wu xia pian chinois et l'horizon inaccessible du western. Le cinéma d'action.

Profitant de ses tournages de courts métrages à petit budget, en mode Série B, où l'on est la recherche constante d'idées pour pallier l'argent qui fait défaut, j’ai appris à ses côtés à concilier le projet artistique qui est le nôtre avec les moyens financiers dont on dispose. 

Si je le considère comme mon Mentor, il a fait de moi le Monteur de tous ses courts-métrages pendant cette époque joyeuse, où nous apprenions ensemble les rouages du cinéma. J'essayais au mieux d’assembler en images ses obsessions cinématographiques qui devenaient peu à peu naturellement les miennes. 

Les années suivantes, il m'a fait découvrir l’existence des westerns barcelonais en me confiant le montage du documentaire Aragon Terre de Western et le sens politique des westerns italiens avec Rouge Western, un monde à la morale inversée où le shérif devient le méchant. Et le hors-la-loi devient le héros. Un inversement des codes que l'on retrouve dans son roman L'Inconnu où la violence physique est un miroir de la violence sociale qui tend la société tout entière. Où notre empathie va au tueur - si pauvre - davantage qu'à ses victimes - si riches. Dimension politique du cinéma et de la littérature de genre qui n'aura dès lors cessé d'enfler dans le travail d'Éric. Ces deux documentaires consacrés au western européen, co-réalisés avec le journaliste passionné Claude Ledû et l'ingénieux ingénieur du son David Vincent, étaient les derniers instants de notre jeunesse. Nous faisions le montage sur des ordinateurs de bureau dans mon petit appartement. Ces docs étaient narrés par Maurice Poli, vieille gloire oubliée de westerns italiens et de films de guerre des années 60, qui vivait retranché à Rome. Et qu’Éric était allé chercher, pour donner un achèvement, un chant du cygne, à la carrière d'un acteur abandonné qu'il admirait. Une dernière vie devant la caméra.

Lorsqu’Éric réalise enfin son premier long métrage cinéma après vingt années de ténacité, il puise dans le film noir. Mais avant de le tourner, il préfère, à ma grande surprise, écrire son scénario en passant par la case du roman. Ainsi son Je ne vous aime pas derrière sa plume devint Cruel derrière sa caméra. Un film noir atypique, magnifié par la musique du fidèle Olivier Cussac, offrant le dernier grand rôle à Maurice Poli et qui reste à ce jour mon plus beau souvenir de montage.

Jean-Christian Tassy, réalisateur chez T.A.T Productions

PIERRE DAUM 

© Aurel

Pierre Daum n'a pas toujours été le Tintin reporter que j'ai connu au mi-temps des années 2000. 
Né en Lorraine, il passe son enfance à Martigues avant de faire des études de lettres à Paris.

Gaston Lagaffe de l'Éducation nationale, il quittera l'enseignement pour parcourir sac au dos le monde pendant deux ans. Il s'installe finalement en Autriche, il y reste dix ans, s'essaie au journalisme, devient correspondant de Libération, rentre en France pour prendre le même poste à Montpellier, tombe amoureux de la ville et quitte Libération en 2005.

Lucky Luke de l'écriture, il parcourt le sud de la France en solitaire. Au hasard d'un reportage en Camargue, Pierre découvre l'histoire des 20 000 paysans vietnamiens recrutés de force en 1939 pour venir travailler dans les usines d'armement de métropole. Il dévoile ce pan méconnu de l'histoire dans le livre Immigrés de force (Actes Sud, 2009) et dessine ainsi un nouveau tome des aventures de sa vie : historien spécialiste du passé colonial.

À l'occasion d'un reportage sur le voyage de « rapatriés d'Algérie » dans leur ville natale de Bougie (aujourd'hui Bajaïa), Pierre découvre la présence de pieds-noirs qui eux ne sont jamais partis (La valise ou le cercueil, Actes Sud, 2012).

En parallèle, notre duo de Blake et Mortimer du journalisme, moi au dessin, lui au texte, vit de folles aventures au cours de reportages à deux mains : Algérie, Maroc, Espagne, Grèce..., produisant de mémorables doubles pages dans Le Monde Diplomatique.

Aujourd'hui, Pierre continue de se lancer dans de nouveaux projets consacrés aux travailleurs indochinois (livres, expositions, films). Tout en continuant à parcourir le monde pour le raconter tel qu'il va. Long way from home.

Aurel, dessinateur

Sylvie Deshors

En vingt ans d’écriture et une vingtaine de livres publiés, Sylvie Deshors s’est tracé un chemin particulier en littérature jeunesse, comme observatrice minutieuse du monde contemporain. Elle ne préserve pas ses héros, enfants et adolescents, de la noirceur de la société dans laquelle ils vivent, et les confrontent sans détours à des situations politiques et sociales difficiles.

Toujours très bien documentés, et inscrits sur un territoire précis (Berlin, l’Argentine, La Mongolie, la vallée de la Roya, la ZAD de Notre-Dame des Landes…), ses livres sont cependant portés par l’espoir, celui de l’engagement, de la fraternité. Ainsi, dans son dernier livre, La Vallée des Merveilles (Rouergue, 2020), Jeanne, 16 ans, va s’ouvrir aux autres et dépasser une rupture amoureuse auprès d’une tante accueillant des migrants.

S’ils séduisent ses lecteurs, c’est d’abord parce que les romans de Sylvie Deshors mettent en scène de jeunes personnages dans lesquels ils peuvent reconnaître leurs propres questionnements sur la société dans laquelle ils grandissent et leur désir de la transformer. Son écriture sensible sait les ausculter dans leurs fragilités et leurs espoirs, révélant leur intimité avec une grande finesse. Donnant ainsi vie à des héros contemporains, émouvants dans leurs complexités. 

Sylvie Gracia, éditrice chez L'Iconoclaste

Mathilde Lemiesle

 © MOKA

Mathilde dessine un impensé de notre société. Une épreuve aussi difficile que fréquente : la si mal nommée fausse couche. Ce faisant, elle tient la main de tant de gens, elle tisse des liens qui n'existeraient pas, elle met au jour, des histoires qui, d'ordinaire, restent dans l'ombre. Ses illustrations sont délicates, rondes, parfois naïves, le noir y occupe une grande place.

Le tour de force de Mathilde, c'est que l'intelligence et la finesse de son travail touchent bien au-delà des femmes qui vivent des arrêts naturels de grossesse. Elle rend l'intime universel. Avec son crayon, elle donne la parole à des anonymes et des spécialistes qui éclairent l'ampleur de ces fausses couches sur la vie de celles et ceux qui la traversent et parfois de leurs proches. Son travail n'est pas seulement esthétiquement réussi, il est inédit. 

La première chose qui m’a frappée dans les dessins de Mathilde, ce sont les yeux de ses personnages. Parfois, exorbités, souvent porteurs d’une certaine tristesse, toujours remplis de questionnements et de doutes. Ils sont hypnotisants. Je les trouve aussi réconfortants. Ils me rappellent les yeux des personnages de Quentin Blake, l’illustrateur des livres de Roald Dahl qui, comme beaucoup, ont bercé mon enfance. Regardez les yeux dessinés par Mathilde, laissez-vous porter au gré de ces regards dans une histoire qui peut, de prime abord, effrayer mais qui est un récit indispensable pour saisir la réalité que vivent tant de personnes autour de nous.

Sandra Lorenzo, journaliste et autrice

Anna Milani


Le silence, d’abord, assez long. Anna vous regarde. Les gens se demandent presque si c’est normal ou si l’on attend quelque chose avant de commencer, puis Anna prend une inspiration et se met à lire. Elle rentre dans son souffle, dans son texte, phrase par phrase elle reconstruit son texte devant nos yeux : un trait puis un autre, tantôt concret tantôt symbole, et c’est une maison que l’on nous offre. Peu à peu la porte se dessine, on y rentre, on s’y sent bien. C’est l’écriture d’Anna.

Dans Incantation pour nous toutes (Isabelle Sauvage, 2021) autant que dans Géographie de steppes et de lisières (Cheyne, 2022), Anna crée des espaces qui sont, mis bout à bout, une identité : celle de l’écrivaine qui, dans le parcours de la langue, se trouve elle-même. Anna marche sur sa terre autant qu’elle marche dans sa langue : elle arpente, mesure les sons, pèse les mots. Paysage physique et paysage intime se construisent mutuellement, s’informent, s’entremêlent dans une écriture traversée : arbres, lacs, montagnes, le relief extérieur devient mouvement intérieur et vice-versa.

Ce qu’Anna donne à lire, c’est une carte, un plan. Ouvrir ses livres, c’est devenir architecte-géographe par les mots pour construire ses propres abris et tracer ses propres chemins, loin de toute rationalité et de toute contrainte, au plus près de la vérité et des énergies intimes. 

Stéphane Lambion, poète, traducteur et chercheur
 

Céline Minard 

© Patrice Normand

Céline Minard affirme quelque part que la seule biographie d’un auteur réside dans sa bibliothèque. Voilà une indication précieuse sur sa conception de la littérature, qui ne laisse aucune part aux tropismes nombrilistes où d’autres se complaisent. Pessoa disait que l’art était l’aveu que la vie ne suffisait pas. Céline Minard ne pourrait reprendre, je le pense, cette formule qu’en la retouchant fortement, car de la vie, et de ses manifestations débordantes, foisonnantes, et plus que suffisantes, voire excessives, il en est amplement question dans toute son œuvre, du Dernier Monde à Plasmas en passant par Le grand jeu, si viscéralement hantée par le problème suivant : comment habiter un monde travaillé par la contingence et métaphysiquement non fondé ?

Sa formation philosophique a fourni à l’auteure de La Manadologie un outillage conceptuel qui, loin d’assécher son imagination, lui a surtout servi à réinventer sans cesse, de livre en livre, de nouveaux cadres adaptés à la praxis de l’écriture. Son goût pour les structures complexes, les constructions savantes, son attachement à la précision lexicale est chez elle harmonieusement tempéré, comme un clavecin, par la puissance native de l’imagination. Et c’est dans cet accord si cher aux Grecs, dont elle aime tant se réclamer, entre l’unité d’une vision claire et la multiplicité obscure des phénomènes qui lui échappent que se déploie avec une confondante fécondité l’œuvre inclassable et protéiforme, qui fait éclater joyeusement les formes et les genres, de cette écrivaine majeure de notre temps.

Émilie Colombani, éditrice chez Payot-Rivages

Marc Sastre

Je ne sais pas si Marc Sastre est plus poète qu’archéologue ou inversement.

Poète, c’est une certitude. Archéologue, c’est une hypothèse aux allures de forte présomption tant l’homme creuse, fouille, re-creuse, re-fouille dans les/nos entrailles comme il se doit. Sans pelleteuse, ni bâtons de dynamite, il explore les choses de l’intime sans crainte du vertige et de l’obscur, de la soif et de la chute. Sans illusion sur la dureté des peaux, sur la profondeur des cicatrices.

Marc Sastre est un poète de la profondeur et de la surface. Il a les mots du coureur de fond et la caresse du boxeur qui sait aussi manipuler la porcelaine des corps et des âmes. Il se frotte aux corps avides, aux corps repus, aux « corps à l’humilité retrouvée », aux « corps rangés derrière l’âme ». Ce type aime les silences, les décibels, les scènes en sueur, les fantômes qui n’ont peur que d’eux-mêmes. De jour comme de nuit, il aime explorer le cosmos profond, amadouer les turbulences de cette vie qui hésite en permanence entre agonie et renaissance, dézinguer les fatalités, les absurdités, les horreurs, les ignominies (cochez la case correspondante et ouvrez la fenêtre) de cette put… de vie qui nous accorde qu’un seul et unique miracle, la poésie. Oui, Marc Sastre est un poète, du bruit et du murmure, de l’ardeur et de la fraîcheur, des caves sombres et des toits terrasses.  

Claude Faber, libraire et auteur