Invectives : quand le corps reprend la parole
La lettre tue, soit. Mais qu'en est-il de la parole dite vive ? Nous pensons d'habitude à ses vertus communicatives, «à la chaleur que tisse la parole/autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous» (Tristan Tzara). Cependant, lorsque la haine, l'indignation, la colère ou la peine investissent la langue, la chaleur devient vite insoutenable. On appelle «invective» cette fulguration de la langue, ces paroles ou ces discours agressifs visant à réduire l'adversaire, quel qu'il soit, au silence et au néant.
Au lieu d'essayer de conceptualiser une notion, il s'agit ici de mettre en évidence des opérations. Ainsi, la première partie («Présentations») s'ouvre aux foudres de l'invective (spontanée, codifiée ou littéraire) pour tenter de décrire, et d'expérimenter, deux des processus qui la constituent : un processus irruptif au fil duquel l'affect violent «s'expulse» en passant dans la voix et la langue du furieux ; et un processus ruptif qui délie, sépare et éloigne définitivement les parties en conflit. La deuxième partie («Littérature et Représentations») explore plus avant les rapports entre le corps et le verbe, en suivant le cours de l'histoire culturelle occidentale. Quand le corps reprend la parole, non seulement il se met à parler de nouveau, mais aussi il reprend ce qui lui revient, ce qui vient de lui. Reprendre la parole, c'est à la fois l'amender, l'améliorer (comme on reprend des bas) et la blâmer, la réprimander, la condamner. L'invective connaît ainsi une visée proprement poétique.