Auteur(s)
MORATON GILLES
Editeur(s)
M. Nadeau
Thèmes
Romans
ISBN
978-2-86231-468-6
EANS
9782862314686
Date
Collation
236p. ; 14 x 21 cm ; épaisseur : 2 cm ; reliure : Broché

Juin 1940. Pétain demande l'armistice. Le front des armées françaises s'effondre sous la poussée nazie. Le groupe du soldat Paco est anéanti. Il s'habille en civil et décide de rejoindre à pied sa fiancée dans le sud de la France. Les péripéties d'un voyage de huit cents kilomètres plein d'embûches se mêlent au souvenir de la Guerre d'Espagne, de la politique de Staline, de l'exode des Républicains espagnols, d'une grève en milieu viticole et de la mobilisation. Les récits se croisent, dessinent comme une cartographie de la violence politique et sociale de l'époque à travers des rencontres hostiles ou amicales. Mais les récits sont aussi porteurs de l'espoir d'un homme et de son obstination à atteindre son but....

« Jeanne », a-t-elle dit. Il la regarde s'affairer dans la cuisine, le corps sans cesse en mouvement. Il la regarde malgré lui en luttant intérieurement à coups de préceptes révolutionnaires (et autres), chaque geste, chaque ondulation de hanche, chaque mouvement des cheveux, ce n'est pas un corps c'est un aimant, cette femme est un danger vivant, Paco, une autre forme de danger, mais un danger, regarde, regarde-là, elle a toujours un sourire sur les lèvres, on dirait que vous êtes mariés, que vous vivez ensemble depuis des mois, vous êtes chez vous, tu viens de rentrer du travail, elle t'aurait dit : tu as trait les vaches ? Et toi tu aurais répondu oui, bien sûr Jeanne, j'ai trait les vaches, viens m'embrasser maintenant. Mais voilà, toi tu as l'air aussi con devant une vache qu'un chien assis sur un tracteur, tu ne sais même pas par quel bout il faut l'attraper pour la traire, le lait et le vin ça ne se mélange pas, arrête de la regarder, arrête je te dis. Je ne peux pas, comment veux-tu que je ne la regarde pas, il n'y a qu'elle dans cette pièce. Eh bien force-toi, regarde ailleurs, regarde ce buffet comme il est bien fait, le dessus en marqueterie au millimètre près, le type qui a fait ça savait travailler, un révolutionnaire ça ne court pas après les femmes, ça prépare la Révolution, la Révolution est une affaire sérieuse, il faut y consacrer tout son temps, quand on est un vrai révolutionnaire, on ne peut pas se consacrer à la fois à la Révolution et aux femmes. »

« Se débarrasser de l'uniforme. Trouver la route du sud et se débarrasser de l'uniforme. Ne pas courir, ça ne sert à rien, ils sont déjà cinquante ou cent kilomètres plus loin, marcher vite oui, sous le couvert des arbres, et trouver des vêtements civils, ne plus être associé à l'impuissance face au déferlement. Sauver sa peau. Jeter le fusil. Il n'y a plus rien, plus d'hommes, plus de chefs, plus de blindés, plus rien à opposer à la violence. Ce n'est pas une armée qui a déboulé, c'est un raz-de-marée. Il a tout emporté. De ses camarades de combat, il n'en reste plus un seul de vivant. Les autres, on les a repliés en catastrophe pour former une nouvelle ligne de front, ils sont quelques régiments à se battre encore avec l'énergie du désespoir, ils sont conscients de cela, d'être les derniers défenseurs debout. Mais lui est seul. Le matin il a essayé d'interpeller un capitaine courant vers le repli, qu'est-ce que je fais, où va-t-on, je n'ai plus de régiment, où est le commandement. Mais l'autre a continué sans lui jeter un regard. Il ne lui a pas couru après, les gradés, faut pas les contrarier, ça peut te retomber dessus vite fait. Il comprend. Il peut comprendre. Il est à mille kilomètres de chez lui, seul au coeur d'une guerre qu'il a faite sienne. »

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