C.R.É.E.R. - Commun, Réseau, Écosystème, Engagement, Résistance

D’accompagnateur de projet à porteur de projet

Issus du développement local et de l’accompagnement de projet au sein de différentes structures, Didier Bardy et Catherine Mitjana ont souhaité intervenir de façon plus concrète en devenant porteurs d'un projet de librairie en milieu rural, guidés par la conviction que le livre est un outil indispensable à l’émancipation. Pour porter cette démarche, en 1999, ils ont été à l'initiative de la création de l'association LIRES.
Le petit village de Sarrant, dans le Gers, a semblé être l’endroit idéal pour ancrer ce projet par la dynamique qui s'y dégageait – festival médiéval et désir d'intégrer la culture dans le projet communal, label des plus beaux villages de France. Ce contexte paraissait plus important que les analyses issues des études de marché qui ne donnaient aucune chance à cette aventure. Cette construction de projet fondée sur une non demande restera une constante dans les démarches portées durant plus de 20 ans.

Les libraires ont très vite « exporté » leur expertise en matière de développement local, à la faveur de manifestations ailleurs en France. Ainsi, ils ont nourri le local en mobilisant auteurs, illustrateurs, chercheurs d'ailleurs rencontrés à ces occasions. Dans le prolongement de ces démarches, l’association LIRES a créé en 2010 la maison d’édition La Librairie des territoires qui prendra en 2022 son indépendance statutaire.

Une librairie, des rencontres, des colloques, une maison d’édition, et pourtant le sentiment d’un manque en 2013. Le besoin d’élaborer un projet plus global de développement culturel de territoire se fait sentir.
 

Une dynamique de développement culturel de territoire à partir de l’illustration

L’illustrateur François Place, rencontré lors de Musiques métisses à Angoulême, conforte le ressenti de Catherine et Didier : une faible connaissance de la lecture d’images et du métier d'illustrateur. Il n’en fallait pas plus pour imaginer la création d’un festival valorisant l’illustration, ce sera en 2014 avec Les Estivales de l’illustration. Elles ont pour ambition de créer une rencontre, un échange, un partage autour de l’illustration et de rester fidèles à la citation inspirante de l'illustrateur Quentin Blake : « Dessiner nous aide à comprendre le monde, à penser, à sentir, à façonner et partager des idées. ».
L’idée étant de faire rayonner l’illustration au-delà de Sarrant, un partenariat solide s'est noué avec la Médiathèque départementale du Gers, et ce festival a reçu le soutien du Contrat de filière Livre, outil de politique publique concertée entre le Centre national du livre, la Région, la Drac Occitanie et Occitanie Livre & Lecture. Ce dispositif a permis une véritable dynamisation pendant 9 années jusqu’à ce que Les Estivales trouvent leur rythme de croisière.

Chaque année, en juillet, elles réunissent durant 5 jours une douzaine d’illustratrices et illustrateurs de renom à Sarrant mais aussi dans une quinzaine de cités du département pour le Grand dessin, des master classes, des journées professionnelles, des soirées festives, des débats... Depuis 2021 elles s’ouvrent au cinéma d'animation en nouant des partenariats avec l’ISCID (Institut supérieur Couleur Image Design) de l’Université Toulouse-Jean Jaurès et l’association Eidos (Bressols, 82). En 2023 les master classes ont accueilli 135 participants : professionnels confirmés, étudiants, jeunes ou moins jeunes fous de dessins en présence d’illustratrices et illustrateurs désireux de transmettre leurs pratiques qui rendent leurs œuvres uniques. Elles ont acquis au fil des ans une forte notoriété dans le domaine de l'illustration grâce à un large et solide réseau de partenaires français et étrangers (écoles d’art, éditeurs, illustrateurs, chercheurs…), processus reconnu et récompensé en 2023 par le Grand Prix de l'action littéraire catégorie Engagement attribué par la SOFIA.

Grâce à l’engouement et la reconnaissance des Estivales, la mairie de Sarrant a été convaincue de faire de l’illustration une ressource territoriale et a déposé la marque « Sarrant, village de l’illustration ». De plus, les libraires, ayant rencontré les animateurs de La Villette lors d'un colloque à Lyon, ont alors mobilisé la collectivité pour favoriser la création d'une Micro-folie comme outil intégré à la dynamique locale.
Dans la continuité de ce processus un collectif de citoyens a acheté une maison au centre du village pour créer un lieu de référence, la Maison de l’Illustration gérée par l’association LaMIS. Cette Maison accueille expositions, boutique et ateliers. L’attractivité de ces équipements et du dynamisme enclenché attire de jeunes illustratrices et illustrateurs sortis d’écoles d’art souhaitant s'installer localement (les Ateliers Charrette).

L’illustration semble devenir un véritable catalyseur à Sarrant, au point que la communauté de communes Bastides de Lomagne la choisit en 2015 comme marqueur identitaire pour sa politique touristique. La Drac Occitanie s’associe également à cet élan à partir de 2016 en offrant la possibilité de mettre en place des résidences de territoire permettant l’immersion d’illustratrices et illustrateurs dans le quotidien des habitants. Celles-ci ont débuté avec Point 36 puis Valérie Dumas et ont permis d'intégrer l'illustration dans les projets du Pays.

Sarrant, village de l’illustration et ses équipements © Joséphine Forme 

Et maintenant...

En 2011, dans Tire-Lignes, Didier et Catherine écrivaient : « tout l'enjeu et aussi la difficulté consistent à passer d'une initiative culturelle individuelle à un projet culturel et social intégré à un projet de territoire ».

Dans des logiques de développement local, la singularité de l'initiative culturelle est de se construire en s'appuyant sur un certain nombre de valeurs impulsant des actes citoyens qui deviennent créateurs de valeurs : CRÉER comme Commun, Réseau, Éco-système, Engagement, Résistance.

Commun : les communs, c'est faire œuvrer ensemble les acteurs privés et les acteurs publics. Se mobiliser pour le commun n'est pas l'apanage d'un acteur plus qu'un autre... la démarche éco-festival relève de la même logique.

Réseau : en quoi son réseau peut alimenter le collectif ? Les exemples sont nombreux et ont montré que l'on pouvait enrichir le territoire en s’inspirant de l'extérieur, en mobilisant des compétences : In Site, la Micro-folie, les Localos, des universitaires... Il s'agit de créer des interactions. Le systémique est la base du développement local. Pour un enrichissement collectif, les interactions pourront se construire en associant aux actions d'autres acteurs, d'autres publics. Ce fut le cas en intégrant lors des Estivales des « décrocheurs scolaires », des étudiants étrangers, un « camp ado »...

Écosystème : c'est la coopération qui fait territoire. Les acteurs locaux doivent se renforcer collectivement plutôt que penser le développement de manière isolée, et s'appuyer sur les anciens pour permettre aux nouveaux de s'enraciner.

Engagement : comme nous l'a appris Jean Ortiz (« l'absolue nécessité de l'engagement »), porter la mise en place d'actions dans des contextes dits défavorables tant sur le plan culturel qu'économique implique un engagement de tous les instants.

Résistance, Freins et Changement : la résistance, c'est la capacité à mener un projet dans un contexte difficile. L'histoire du développement local montre que le facteur le plus important pour que les projets perdurent est fortement lié à l'ambiance existant sur le territoire. Ce devrait être l'objectif premier de la collectivité que de créer ce climat de confiance, de bienveillance entre les différents partenaires autour des valeurs portées par le projet.

Aujourd'hui à Sarrant, des outils existent : la librairie-tartinerie, la Maison de l'Illustration, la communauté de communes. L'ensemble de ces éléments devrait permettre à ce que l'aventure autour de l'illustration perdure sans les Estivales de l'Illustration à Sarrant pour écrire un nouveau chapitre...