La médiation culturelle, créatrice de liens dans nos campagnes
Photo : Atelier d'illustration avec Mathilde Magnan © Aporia Culture
Céline Guelton-Thomasset © DR
Après 15 ans de profession dans la filière du livre, Céline Guelton-Thomasset est consultante culturelle. Deux ans au service d'une résidence d'artiste, et dix ans au sein d'une institution régionale. Elle a accompagné près de 500 auteurs et organisateurs d'événements. Elle a été chargée de cours à l'Université pendant 6 ans. Diplômée ingénieure et d'un master 2, formée à Science Po Executive Management, elle met sa méthodologie au service des projets culturels de territoire. Elle a fondé, préside et coordonne l'association Aporia Culture, basée à Millau, en Aveyron.
* Dispositif de soutien de l’État (Drac Occitanie), de la Région Occitanie, du Centre national du livre et d’Occitanie Livre & Lecture, dans le cadre du Contrat de filière Livre 2022-24
Tire-Lignes : Comment s’ancre la filière du livre sur votre territoire ?
Céline Thomasset : L’association Aporia Culture est située en Aveyron où nous avons la chance d’avoir un maillage assez bien réparti d’acteurs culturels (bibliothèques, librairies, éditeurs, auteurs et festivals) dans les villes comme dans les zones rurales ou escarpées.
T.-L. : Comment vos actions s’inscrivent-elles dans l’écosystème du livre et de la lecture ?
C. T. : Chaque village possédant une école et bien souvent une bibliothèque, nous avons choisi de démarrer notre activité par des actions d’éducation artistique car, du fait de l’implantation majoritairement en ville des établissements culturels structurants, les budgets des enseignants de ces territoires ruraux partent davantage dans le transport d’élèves plutôt que dans la création de projet ou la rencontre avec des artistes. Nous avons donc choisi d’ancrer nos actions à l’échelle de l’école, du village.
L’auteur-illustrateur est invité à intervenir dans l’école, à proposer une exposition à la bibliothèque et nous travaillons avec les associations locales pour agrémenter le programme d’interventions complémentaires (ateliers, balades, déambulations, fête du livre…). Les actions se répliquent dans les villages voisins dans un souci de mutualisation. En 2022, nous avons eu l’occasion d’associer cette opération, appelée Les petits art-oseurs, au dispositif de compagnonnage d'auteur en librairie*. À ce titre, la librairie La Maison du livre de Rodez s’était déplacée dans chacune des écoles pour présenter le métier de libraire, une sélection de livres thématiques et avait invité l’auteur-illustrateur A.DAN à réaliser des performances dessinées dans la librairie en écho aux ateliers scolaires.
Fresque sur la biodiversité réalisée par l'auteur-illustrateur A.DAN à la librairie La Maison du Livre, à Rodez, lors de performances publiques d'octobre 2022 à janvier 2023 © Aporia Culture
Aporia Culture organise également depuis 3 ans la programmation culturelle de Pingpong le Toit, le tiers-lieu de Millau. Le livre n’est pas l’axe central de cette programmation, mais il en est le fil rouge au cours des saisons. Nous le faisons sortir de ses pages en présentant des expositions de planches de BD et d’illustrations jeunesse, en lien avec les auteurs et les éditeurs que nous invitons au cours des rendez-vous publics qui ponctuent la saison (conférences, tables rondes, ateliers, rencontres scolaires). S’associent à cette programmation les deux librairies de la ville en alternance (librairie Plume(s) et librairie Syllabes) et la médiathèque municipale via une sélection thématique. Pour accroître davantage la mutualisation, les auteurs et éditeurs conviés sont proposés aux bibliothèques des villages alentours pour d’éventuelles rencontres. Les expositions que nous produisons sont louées à des médiathèques sur demande dans toute la France et nous n’hésitons pas à faire appel au réseau des festivals BD et jeunesse pour accueillir en nos terres leurs propres expositions. Nous travaillons donc avec l’ensemble de l’interprofession du livre, comme un nouveau maillon du développement de la lecture.
T.-L. : La ruralité n’est-elle pas un frein pour mettre en place des projets culturels de territoire ?
C. T. : Contourner les freins qui stigmatiseraient la ruralité comme le manque de moyens, de transport en commun et de ressources professionnelles permet au contraire de déployer une dynamique assez créative dans l’ingénierie des projets. Nous n’hésitons pas à décloisonner les esthétiques et à mettre en œuvre des projets hybrides qui se co-construisent avec le festival de jazz, le théâtre, le musée… qui imaginent des partenariats originaux où se mêlent par exemple l’artisanat, le street art et les archives patrimoniales.
Par ailleurs, en nous inscrivant dans un tiers-lieu, nous expérimentons les liens avec le monde des entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire, de l’agriculture ou de l’alimentation, mais également de l’architecture, du design, des industries créatives et culturelles et de la culture scientifique. Il n’a pas été difficile de préparer des ateliers scolaires proposant à la fois du jardinage avec le CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) et de l’illustration entomologiste par exemple, tout en faisant écho aux enjeux environnementaux actuels.
Le cœur du projet n’est plus de partir d’une filière culturelle, mais de mettre en œuvre un projet sur un territoire qui a du sens en suivant des valeurs éthiques, sociales, responsables, écologiques et inclusives, au sein duquel nous inscrivons la filière du livre. Ces actions littéraires participent ainsi à la pédagogie alternative, à la formation tout au long de la vie et à la démocratisation culturelle. Les actions vont tour à tour cibler les tout-petits du réseau des assistantes maternelles, les jeunes en milieu scolaire, les familles accompagnées par les centres sociaux, les enfants accueillis dans des institutions médicalisées, les demandeurs d’asile ou encore les personnes résidentes des Ehpad. Elles participent ainsi à créer du lien social autour d’une réflexion, d’une découverte ou d’une expérience artistique.
Atelier d'illustration avec Mathilde Magnan, en Aveyron au printemps 2023, dans le cadre de son exposition "Nom d'un insecte !" produite par Aporia Culture © Aporia Culture
T.-L. : Comment participez-vous au développement du territoire ?
C. T. : Encourager l’hybridation et le décloisonnement invite les acteurs culturels à se structurer, travailler en réseau, expérimenter et coopérer pour proposer une offre complémentaire dans le paysage local. Les publics en bénéficient d’autant plus que cela élargit l’offre culturelle et agit sur l’éveil des plus jeunes, l’émancipation et l’épanouissement de tous.
Cette structuration permet par ailleurs aux acteurs et artistes de se positionner en tant que membres d’une filière économique culturelle locale, qui répond à des besoins de professionnalisation pour solidifier leurs activités, mais qui participe aussi à l’attractivité et au dynamisme d’un territoire dans l’optique d’attirer nouveaux habitants et touristes.
Aujourd’hui, nous nous devons de considérer la culture comme partie prenante du développement de notre territoire et du vivre ensemble.