Montpellier 2028, un pari (déjà) gagné pour le territoire
De nombreuses collectivités territoriales se sont engagées depuis plusieurs mois dans la candidature de Montpellier au concours de Capitale européenne de la culture. Elles se sont fédérées autour d’un enjeu commun : ériger la culture en catalyseur de nouvelles synergies, coopérations et dynamiques, pour garantir à ce territoire un développement le plus durable possible. Directrice stratégique de l’association Montpellier 2028, Sophie Léron nous partage les coulisses de l’avancée de ce projet de territoire hors norme.
Tire-Lignes : Sophie Léron, expliquez-nous pourquoi Montpellier a choisi de briguer le titre de Capitale européenne de la culture ?
Sophie Léron : À l’origine du projet, l’Europe était déjà plongée dans un contexte général de grandes tensions (démocratique, écologique, sanitaire et sociale...). Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole et François Commeinhes, maire de Sète et président de Sète Agglopôle Méditerranée font alors tous deux le choix d’y faire face avec détermination et optimisme. Souhaitant ouvrir de nouvelles possibilités de partage et de coopération, ils voient dans la candidature au label de Capitale européenne de la culture une formidable opportunité d’impulser une nouvelle dynamique sur leurs territoires respectifs. De leur accord, scellé à Sète, est né ce projet commun.
T.-L. : Une fois l’idée entérinée, comment avez-vous convaincu les décideurs du territoire de s’engager dans le projet malgré les animosités, les résistances existantes ?
S. L. : Il s’agit paradoxalement désormais d’une des forces de notre projet. La démarche enjambe déjà les rivalités anciennes entre nos territoires. Les collectivités engagées partagent la même volonté de créer de nouvelles logiques territoriales plus agiles et plus concrètes.
Concourir au titre permet de poser une stratégie culturelle de territoire, de penser les projets à long terme, de s’inscrire dans un calendrier porteur de dynamique. De réfléchir aussi aux questions d’attractivité territoriale, de mobilités, aux liens entre acteurs culturels, éducatifs, sociaux et économiques du territoire. Les adhésions à l’association porteuse de la candidature (Montpellier 2028), votées à l’unanimité par les collectivités, ont jalonné les derniers mois. C’est d’ores et déjà l’acquis de notre candidature : des territoires unis, qui se projettent ensemble et portent un véritable plaidoyer pour la culture. Montpellier 2028 a ainsi ouvert la voie à un travail à l’échelle d’un bassin de vie par-delà les frontières administratives.
Sophie Léron, Michaël Delafosse et Clare Hart à Bruxelles le 26 juin 2023 pour la présentation de Montpellier 2028,
candidate au titre de Capitale européenne de la culture © Thierry Monasse
T.-L. : Au fil des mois, de nouveaux territoires ont rejoint le projet qui couvre désormais pratiquement tout le département. De par cette ampleur, comment se gère la prise de décision ?
S. L. : 154 communes et plus de 900 000 habitants du littoral depuis Agde jusqu’à Aigues-Mortes sont désormais engagés dans la démarche. Les 8 communautés de communes ou d’agglomérations, le Département de l’Hérault, la Région Occitanie ont tous une représentation au sein de l’association en charge du pilotage du projet. À leurs côtés, les membres associés de la candidature issus des secteurs éducatifs, économiques, etc. sont également représentés. Ensemble, ils se prononcent sur les grandes orientations de la candidature. C’est, là encore, toute notre spécificité, qui atteste de notre robustesse pour la suite : rassembler tous les acteurs du territoire au-delà du seul secteur culturel. Travailler différemment, en coopération, en transsectorialité.
T.-L. : Pouvez-vous nous préciser les enjeux politiques, économiques, sociaux de cette candidature ?
S. L. : Les événements climatiques de cet été n’ont fait que renforcer la place de la transition écologique à l’épicentre de notre projet. Penser la mutation était notre point de départ, déployé à la lumière des enjeux du Pacte vert pour l’Europe. Montpellier 28 sera un événement écologiquement exemplaire. Pour y parvenir, nous misons sur un travail en profondeur sur les manières de faire mais aussi sur la jeunesse, future actrice du changement. Ensuite, il ne peut y avoir de transition sans un changement de pratiques en termes de mobilités. Nous entendons diminuer notre impact environnemental en utilisant différents leviers, notamment tarifaires à l’instar de la future gratuité des transports à Montpellier. Cette volonté de transition n’impacte en rien les attendus en termes d’attractivité et de rayonnement du territoire, qui se traduiront par de fortes retombées économiques. L’expérience d’autres villes semblables à celle de Montpellier nous montre que l’impact du titre peut être extrêmement bénéfique sur un territoire comme le nôtre. Nous portons une ambition particulière dans le domaine des industries culturelles et créatives. Enfin, nous avons des objectifs ambitieux en matière d’accessibilité et d’inclusion. Le titre nous permettra d’aller encore plus loin dans notre mission première de rendre la culture accessible partout et au plus grand nombre.
Membres de l'association « Montpellier 2028 – Capitale Européenne de la Culture » réunis le 29 mars 2023 au sein de l’Espace Gisèle Halimi de Montpellier pour l'Assemblée générale et le Conseil d’administration de l’association © Kaddour Tefiani
T.-L. : Des événements culturels se déroulent dès à présent sous le label Montpellier 2028. Comment se démarque cette pré-programmation du point d’orgue que sera (nous l’espérons) l’année 2028 ?
S. L. : L’une des forces de Montpellier 2028 est d’avoir pu donner à voir le visage de l’année du titre dès sa phase de pré-sélection. Deux appels à projets ont été mis en place en 2022 et 2023 avec un budget mutualisé exceptionnel. Les 85 projets sélectionnés traduisent l’identité artistique et l’évolution du dossier de candidature : alors que les lauréats de la phase de pré-sélection s’inscrivaient dans ses grands enjeux (la jeunesse, l’hospitalité, etc.) et ses axes artistiques (L’eau qui nous relie, Futur en série, Trans ?), ceux de la phase de sélection devaient en plus impérativement refléter la dynamique partenariale au niveau territorial et/ou international. Tous ces projets sont venus compléter l’offre existante sur le territoire Montpellier 2028, et y créer des nouvelles synergies comme des propositions inédites.
Le succès de ce dispositif nous pousse à le préserver. Nous le ferons évoluer jusqu’en 2028 : son principe restera inchangé, mais nous encouragerons encore plus ce que le jury appelle le « capacity building » des porteurs de projets, c’est-à-dire la consolidation de leurs réseaux professionnels comme des espaces de créations qu’ils initient, en autonomie. Il s’inscrira pleinement, en 2028, dans la programmation de l’année capitale.
T.-L . : En quoi cette candidature, qu’elle soit in fine couronnée de succès ou pas, s’avère fructueuse pour le territoire ?
S. L.: Notre candidature a pour point de passage l’année 2028, mais notre ambition est beaucoup plus long-termiste : elle est incontestablement un catalyseur de développement, mais nous l’avons appréhendée à l’aune de son héritage. Nous avons ainsi d’ores et déjà rempli un certain nombre d’objectifs qui se concrétisent par la mise en place d’une gouvernance territoriale inédite autour des enjeux de notre territoire et de notre candidature. C’est le cas de la question de l’eau, au cœur de Montpellier 2028 : en avril 2023, une convention d’entente autour de la gestion du Golfe d’Aigues-Mortes a été signée entre les intercommunalités de Montpellier Méditerranée Métropole, Terre de Camargue, Pays de l’Or, Sète Agglopôle Méditerranée, dans un accord historique. Sur la question des mobilités et l’engagement des collectivités partenaires à un travail commun autour du développement des mobilités actives et douces dans chaque commune ainsi qu’autour des trajets intercommunaux. La Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, très engagée dans la candidature a également affirmé son soutien en tant qu’autorité compétente et annoncé l’extension de son dispositif de TER à 1 euro pour les temps forts de notre programmation.
Cette nouvelle culture de la coopération horizontale se traduit aussi au niveau des acteurs du territoire. La programmation artistique Montpellier 2028 en est un remarquable témoin : tous les projets sont co-portés à la fois par des acteurs du territoire et issus de toute l’Union Européenne. Cette ouverture à l’international qu’a permis la candidature est également l’un de nos grands objectifs.
Enfin, nous attachons une importance toute particulière au lien entre le continent africain et l’Europe. À l’instar de la « Biennale Euro-Africa Montpellier » dont la première édition s’est tenue en octobre 2023, nous voulons créer de nouveaux espaces de dialogue mêlant chercheurs et artistes, fondés sur une coopération d’acteurs d’écosystèmes différents.
T.-L. : Montpellier 2028 figure parmi les quatre finalistes. Votre pronostic ?
S. L. : Les chances de Montpellier sont d’1 sur 4 ! J’aime à dire que chaque ville a sa propre trajectoire, inhérente à la singularité de son territoire et de ses enjeux. Il s’agit véritablement d’un processus aussi unique qu’inédit pour toutes et tous, et les comparaisons sont difficiles. Il faut plutôt saluer l’engagement puissant en faveur de la culture de nombre de villes de notre pays, et le chemin qui sera parcouru grâce à ce concours.
Mais s'il faut parier, misons alors collectivement pour un futur désirable pour ce grand bassin de vie qu'est le territoire Montpellier 2028.
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Spécialisée dans la culture et les médias, Sophie Léron a occupé différentes responsabilités institutionnelles comme conseillère du président de la Commission des affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale, chargée par la ministre de la Culture d’une mission de réflexion et de propositions pour une meilleure prise en compte de la photographie au sein du ministère, et Cheffe de pôle en charge de la Culture et des Médias au sein du cabinet du Premier ministre. Elle a acquis une connaissance approfondie du fonctionnement des institutions, de l’élaboration des politiques publiques et de leur financement par les acteurs publics comme privés. Depuis, elle a accompagné l’émergence de projets innovants et à valeur collective à l’instar de La Preuve par 7, démarche expérimentale d’urbanisme, d’architecture et de paysagisme. Elle dirige actuellement l’association Montpellier 2028.