Alain Monnier à Bagnères-de-Luchon
Bagnères-de-Luchon, le chic à la montagne
Bagnères-de-Luchon est une ville thermale phare de la Haute-Garonne. Ses lettres de noblesse remontent au temps des Romains, qui développèrent la ville, alors appelée Ilixon (déesse des eaux), et creusèrent les premières piscines thermales. Le dieu des sources du panthéon pyrénéen, Ilixo, donne son nom à la vallée de Luchon. Le bourg né auprès des sources était quant à lui appelé Bagnères, de balnearia, balnearium (bains, baigneries).
Quatre sources différentes étaient exploitées durant l'Antiquité, notamment grâce à l'aménagement d'une grotte. Les bains proprement dits se composaient de trois piscines superposées alimentées par des bassins, plus modestes qui servaient peut-être à refroidir les eaux.
©️ Poitou, Philippe ; Boyer, Amélie ©️ Inventaire général Région Occitanie
La redécouverte de ces piscines thermales au XVIIIe siècle ouvre la voie au développement ex-nihilo d’un quartier thermal. Hôtels néoclassiques et villas apparaissent, accompagnés par les thermes et le casino, entourés par un parc paysager et de beaux jardins aux allées végétales.La richesse de cette station des Pyrénées est due à la qualité de ses eaux mais aussi aux différents sites qui l'entourent et qui la rendent exceptionnelle.
©️ Bagnères de Luchon - Vue de l'établissement thermal et du parc, prise au dessus de la buvette, n°442, Mercereau Charles 1853-1876
Toulouse, Bibliothèque municipale, Mf.5
L'auteur
Alain Monnier, nom de plume d'Alain Dreuil né le 14 juillet 1954 à Narbonne, dans le département de l'Aude, est un écrivain français. Il s’installe à Toulouse en 1984 et publie dix ans plus tard son premier roman, Signé Parpot, salué pour sa construction sans narrateur à partir d’une compilation de traces écrites de toute sorte.
L'histoire
? De la même manière qu’il y a sept péchés capitaux, il y a sept façons d’aborder l’histoire du Général. On a choisi celle qui commence avec Toinou Peyre, un homme de trente ans, costaud comme pas deux, porteur de chaises avec son frère Robert à Bagnères-de-Luchon en saison, et porteur de bois le reste de l’année.
Les frères Peyre étaient futés, et assez forts en gueule et en muscles pour choisir leurs clients au grand dam des autres porteurs. Au fil des ans, Toinou s’était attaché une brochette d’aristocrates aux pourboires généreux qu’il n’hésitait pas à monter aux étages, pour peu que l’escalier de l’hôtel le permît, quand le règlement préfectoral n’imposait que de charger et décharger au rez-de-chaussée.
Toinou avait ainsi pour client, un Général qu’il amenait prendre les eaux à 9h, qu’il retrouvait à 11h05 pour la douche et le bain rituels, qu’il conduisait l’après-midi aux Quinconces et souvent le soir au Casino ou dans les salons en vue. C’est sans doute lors d’un de ces déplacements que commença l’affaire dite du gousset du Général…
? Toinou prenait grand soin de son Général, et n’hésitait jamais à le conseiller ou à lui procurer quelques passe-droits. Ainsi le matin, Léa, la belle Léa aux yeux bleus et à l’air mutin, réservait ses plus beaux sourires et ses clins d’œil au Général. Quand il arrivait dans sa chaise à la buvette, elle se précipitait pour lui servir son verre d’eau en ajoutant un compliment sur la santé de l’armée française et sur le teint magnifique du Général. La donneuse d’eau - elle préférait se dire fontainière - avait même eu l’honneur d’illustrer plusieurs cartes postales de Luchon, habillée dans la tenue locale avec une couronne de fleur dans sa belle chevelure rousse.
Le Général, plus amateur de jupons que de champs de bataille, n’était pas insensible aux charmes de la donneuse d’eau, d’autant que Toinou lui avait soufflé que Léa était la plus douce masseuse de la station, la plus experte pour les dos douloureux, mais qu’un sombre différend avec le médecin chef, car Léa était vertueuse, lui avait fait perdre son poste à l’établissement thermal.
? A seize ans, grâce à Toinou, Jacques Gras était entré comme garçon de bain aux Thermes.
Il ne savait pas lire, mais on lui avait appris à déchiffrer la température sur le thermomètre aux larges graduations, en marquant par deux entailles la plage entre 32 et 34°, et comme il n’était pas plus sot qu’un autre, il s’en sortait bien. Il se plaignait de ne pas gagner assez, et d’être le larbin du baigneur, poste qui devait ramener ses huit francs quand lui n’en recevait que deux. De ce fait, il rendait volontiers de petits services rémunérés. Ainsi avait-il ajouté cinq jours durant, à la demande de Toinou et sans poser de question, deux degrés au bain du Général, et augmenté subrepticement la pression de la douche que le baigneur projetait avec application sur la glorieuse carcasse. Le sixième jour, le Général demanda à Toinou de marcher plus lentement, il avait le dos en morceaux. « Pas vous, mon général, répliqua Toinou. Vous êtes une force de la nature et de la nation ! Allez donc faire une promenade jusqu’à Venasque, le bon air va effacer tout ça… »
? C’est ainsi que René, le beau-frère de Toinou, arriva l’après-midi avec un cabriolet fermé et deux fringants chevaux pour conduire le Général jusqu’au panorama et au bon air de Venasque. La balade dura trois heures, bien plus que prévu, car la route était fort encombrée. Les petits mendiants – la plaie de ce pays, disait le Général – pullulaient comme un essaim d’abeilles, à tendre aux promeneurs des minéraux ou des fleurs cueillies à la hâte. René n’hésitait pas à faire claquer son fouet pour éloigner les plus téméraires mais laissa approcher le montreur d’ours, son cousin, et aussi un marchand de biscuits, cousin de sa femme, ce qui agaça le képi étoilé.
Au retour, les cahots du chemin achevèrent de mettre au supplice le dos du Général, si bien qu’au lieu de filer cartonner au Casino comme à son habitude, ce dernier de très mauvaise humeur, regagna son hôtel et fit appeler Toinou pour aller se plaindre chez l’Intendant. Toinou arriva au galop, subit les foudres militaires en serrant les dents et refusa tout net de conduire « mon Général » chez l’Intendant…
? « Que diable ! dit Toinou. Est-ce à un Général qui aurait pu combattre à Sébastopol, à Sedan, à Loigny de se déplacer ? Non ! C’est au gratte-papier de venir. Faites-lui donc porter un billet par le coursier de l’hôtel ! ».
La missive fut évidemment interceptée et le coursier dédommagé. L’intendant ne se montra pas. Quand Toinou repassa à l’heure du Casino, le Général était au lit. Toinou lui proposa alors, en triturant sa casquette, d’essayer de convaincre Léa, la belle fontainière, de venir avec ses mains de fée soulager le dos meurtri. Le Général, ragaillardi par la perspective, s’enthousiasma : cette jolie petite valait sûrement mieux qu’une armada de baigneurs et de médecins incapables ! Elle n’aurait qu’à venir à la fermeture de la buvette.
Seulement Léa, aussi jolie était-elle, ne pouvait accéder à la chambre du Général sans montrer patte blanche. Il fut décidé que Toinou trouverait des musiciens, il n’en manquait pas en saison, pour donner un concert dans l’appartement du Général, et Léa se ferait passer pour l’un d’eux. Le quatuor jouerait dans le salon, tandis que Léa soulagerait le Général dans la chambre voisine.
? Avant que Léa n’arrive, il faut préciser que le Général avait certes des rhumatismes, des problèmes de dos (on sait pourquoi) mais aussi le cerveau en marmelade – un reste de syphilis mal soignée – qui l’empêchait de se souvenir des noms, des adresses et, plus gênant encore, du code secret que sa fonction l’obligeait à conserver… Code secret qu’il avait cru bon de faire graver à l’intérieur du clapet de sa montre à gousset.
Le lied de Schubert démarra au moment même où les douces mains de Léa se posaient sur le creux des reins du Général. Lors du crescendo, elles osèrent glisser jusqu’aux fesses du militaire en émoi et s’attarder jusqu’à ce que de petits râles viennent gâter la mélodie qui s’égrenait. Léa ne fut pas avare de son temps. Elle faisait des pauses pour huiler ses mains, sans jamais cesser de murmurer des flatteries qui coulaient comme du miel dans les oreilles du guerrier. Ce fut lors d’une de ces pauses qu’elle délesta le portefeuille de la nation de 1000 francs et embarqua au passage, contre l’avis de Toinou, la montre à gousset du Général.
? Après la défaite de 1870 et en pleine affaire Dreyfus, le Général ne tenait pas à avouer devant l’état-major réuni, qu’une petite donneuse d’eau lui avait chapardé un secret d’état. Les 1000 francs, bien que vexatoires, n’étaient pas une perte insurmontable. Bref le Général se tut et continua à aller boire tous les matins à 9h l’eau désormais bien amère de la buvette. Toinou lui glissa que les musiciens étaient repartis à Toulouse comme des voleurs, mais l’ambiance n’était plus et les sourires de Léa tombaient à l’eau.
Des 1000 F, il fut donné 50 F à Jacques le garçon de bain, 50F à René le guide plus 5 F pour chacun de ses chevaux, 60 F à Robert le frère de Toinou qui n’avait rien fait mais qui était le frère aîné et ça oblige, 10 F au coursier de l’hôtel, 70 F aux musiciens pour qu’ils filent travailler à Ax, 250 F à Léa, et 500 F revinrent à Toinou.
Tous se turent mais le bruit courut chez les locaux qu’un Maréchal avait perdu 50.000F et livré Paris aux casques à pointe ! Précisons ici, pour couper court aux rumeurs, que le code secret en question était celui de la cave du Ministère qui renferme les bouteilles de Champagne et de Cognac.
Sources et ressources
Toutes les ressources sur cette ville thermale sont à retrouver sur le site de Ressources Patrimoines en Occitanie.
Les collections de Gallica vous permettront de vous immerger plus profondément dans le thermalisme et de découvrir le soin par les eaux. La bibliothèque numérique donne également accès à plus de ressources sur Luchon : découvrez-les dès maintenant sur Gallica !