Les Baigneurs récit 4

Carina Louart à Ax-les-Thermes

Suivez Fernand Fontcabrol à Ax lors d'une saison aux thermes. Bien sous tous rapports… ou presque. Que cache-t-il vraiment ? A vous de le découvrir.

AX-LES-THERMES, FAMILIALE

Dès le Moyen Âge, Ax est la ville la plus importante de la haute vallée de l’Ariège. L’usage des eaux thermales est même attesté depuis le XIIIe siècle autour du bassin des Ladres, par les archives et par l’archéologie. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les propriétés médicales des eaux soient mises en avant et pour que la ville connaisse un nouvel essor. Tout au long du XIXe siècle, elle se transforme en véritable station thermale grâce à la construction de pas moins de quatre établissements pour curistes, de petits hôtels, de nombreuses villas et d’un casino !
Château Villemur ©️ Saada Romain - Région Occitanie
C’est au XIXe siècle, notamment grâce à l’arrivée du chemin de fer, que se développent stations thermales, stations de bord de mer et stations climatiques. Le terme de thalassothérapie apparaît pour la première fois en 1865. C’est au XIXe siècle, notamment grâce à l’arrivée du chemin de fer, que se développent stations thermales, stations de bord de mer et stations climatiques.
Une forte concurrence s’installe entre les stations qui sollicitent les médecins pour les inciter à prescrire des cures à leurs patients. Elles font de la réclame dans les journaux et partant du principe qu'il est important de divertir les curistes, développent des atouts touristiques et mondains en ouvrant des casinos et des théâtres.
Mêlant des considérations historiques, médicales et promotionnelles, les quelques 5000 ouvrages ou pièces détenus par la BnF témoignent du développement considérable de cette littérature entre le milieu du XIXe siècle et les années 1930.
Ax-les-Thermes, La galerie du Modèle Etablissement thermal ©️ Carte postale, Archives départementales de l’Ariège, 2FI1606

L'autrice

Autrice jeunesse et journaliste indépendante, Carina Louart travaille pour la presse grand public et professionnelle et collabore à des expositions pour les Centres de culture scientifique. Géographe de formation, et curieuse de tout ce qui affecte l'humain en termes social, économique ou environnemental, elle écrit des textes pour des magazines scientifiques et grand-public mais aussi des livres-jeux et des documentaires jeunesse. Après plusieurs années passées dans les rédactions parisiennes, elle est aujourd'hui installée à Toulouse et devenue polyvalente, enchaînant rédaction de textes d'expositions scientifiques, d'articles pour la presse et le web, communication institutionnelle... Elle s'intéresse particulièrement aux questions d'égalité et intervient régulièrement dans les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves aux inégalités. Ses sujets de prédilection portent aussi les relations entre les humains et l'environnement.

L'histoire

? Fernand Fontcabrol était pour ainsi dire un « saisonnier ». L’hiver, il vivait de petits arrangements dans le milieu pharmaceutique bordelais et aux beaux jours, usurpait le titre de « médecin ». L’affaire était bien ficelée : son ami, le docteur Mazeau exerçant dans le triangle d’or bordelais conseillait à ses riches clients de « prendre les eaux » à Ax-les-Thermes et d’y consulter son éminent confrère: le Dr Fontcabrol. En contrepartie, ce dernier lui reversait une commission. 

C’est ainsi que Fernand arriva dans la petite station ariégeoise en mai 1905. Il était un de ces nombreux « médecins étrangers » qui prenaient leurs quartiers d’été dans les villes d’eau.

Comme tous les matins, il prit la rue du Coustou, longea l’hôpital Saint-Louis, une forte odeur d’œuf couvé caractéristique des eaux sulfureuses chaudes émanait du Bassin des Ladres. Des lavandières frottaient leur linge. L’une d’elle le héla :

-          Avec tous ces baigneurs arrivés par le train des Parisiens, vous avez du pain sur la planche, docteur !

Oui, la saison allait être bonne…


? Le cabinet de Fernand était situé à deux pas du très chic Hôtel Sicre dont le jardin était contigu au tout aussi select Etablissement du Breilh, l’un des quatre centres thermaux d’Ax . 

Plusieurs patients l’attendaient déjà. Un vieil homme vouté et perclus de rhumatismes chuchotait à l’oreille de sa ravissante épouse ; à sa gauche, une mère accompagnait son jeune garçon au visage renfrogné couvert d’eczéma purulent et, dans un coin de la pièce, un homme en complet trois pièces, maigre, très pâle et bourré de tics, lisait « Le Petit Parisien ». Les affaires commencent !, se réjouit l’imposteur. Durant trois semaines, ces « petits malades », comme les surnommaient certains médecins, allaient être soumis à la discipline du régime hyperthermal,  avec sa cascade de douches, de bains fumants, de gargarismes, de humages et autres pulvérisations selon un ordre et des règles strictes et très subtils. 

Après avoir pris soin de dissimuler la liste des patients fortunés adressée par son ami médecin, Fernand fit entrer l’homme au complet trois pièces.


? L’homme au complet était notaire et noté 4 étoiles (très fortuné), par le Dr Mazeau.

-          Tirez la langue, toussez, respirez, ne respirez-plus… Vous avez l’air épuisé, le travail sans doute ? 

Muni de son stéthoscope et du marteau à reflexes, Fernand veillait à afficher ce regard doux et bienveillant propre à l’homme de l’art par nature soucieux de son prochain.

 

-           Ce dont vous souffrez doit nuire à la santé de vos affaires, ce stoïcisme vous honore ! Je vous adresse à l’établissement du Modèle, mais vous auriez besoin d’un médecin qui s’astreigne à des visites quotidiennes et à une surveillance incessante de votre guérison.

Effondré, le notaire le supplia de se charger de cet office moyennant une coquette somme d’argent. Le faux médecin feint de compatir au désarroi du pauvre homme et accepta.

-          J’essaierai de passer chez vous, chaque matin avant vos bains. Ne vous inquiétez pas, avec nos 60 sources alcalines et sulfureuses, notre station thermale est comme un grand clavier sur lequel nous jouerons ensemble pour vous remettre sur pied ! Et si vous ressentez de légers troubles après vos bains, c’est « la crise des eaux », c’est signe qu’elles agissent !


A l’établissement du Couloubret, il y avait foule. Les baigneurs se pressaient au guichet de distribution de tickets de bains et de cartes de buvette, d’autres remplissaient leur gobelet à la source du « Bain fort » réputée pour soigner les maladies de peau et les rhumatismes.

Fernand avait rendez-vous avec le Dr Perrin, médecin-inspecteur des thermes et grand-maître des eaux d’Ax chargé de veiller à leur qualité et à celle des soins.

-          Vous n’ignorez pas cher ami, qu’il est de mon devoir de remettre chaque année à l’Académie de Médecine un rapport sur les vertus de nos eaux. Vos confrères m’ont déjà rendu leurs observations.

Ce Dr Perrin était un « dur à cuire », nota Fernand. Jusqu’alors, il n’avait eu affaire qu’à des médecins-inspecteurs qui se moquaient bien de médecine !  Fernand s’engagea à lui remettre son rapport sans tarder et se dirigea vers la porte.

-          Venez au Cercle demain soir, lança le Dr Perrin, nous parlerons des découvertes de votre ami, le Dr Garrigou, il parait que nos eaux sont radioactives, elles contiennent du radium et seraient même électriques

Fernand était déjà dans la grande galerie qui servait de promenoir et de salle d’attente.


Le docteur Félix Garrigou était une sommité dans le petit monde des eaux. Natif de Tarascon-sur-Ariège, ce médecin était aussi géologue et chimiste. Il avait ouvert sa propre école d’hydrologie médicale à Luchon et organisé le 1er Congrès international d’hydrologie et de climatologie de Biarritz en 1886. Mais, ce qui lui valait la reconnaissance du pays et de ses pairs, c’était la création en 1891, bien avant l’Allemagne, de la première chaire d’hydrologie médicale, à la Faculté de Toulouse. Fernand l’avait appris de son ami médecin bordelais, fervent admirateur du Dr Garrigou qui en prévision de son séjour ariégeois, lui avait confié l’ouvrage signé du savant intitulé : « Etude chimique et médicale des eaux sulfureuses d’Ax ».

A son arrivée à Ax, Fernand, soucieux d’asseoir son titre de médecin avait prétendu être de ses amis et posé l’essai du Dr Garrigou en bonne place sur son bureau.

Il était tard, Fernand s’attelait à la rédaction de son rapport. Il reprit à son compte les cas d’affections guéries décrits dans l’ouvrage de l’éminent thermaliste en prenant soin d’y apporter quelques variantes et se coucha avec le sentiment du devoir accompli.


L’arrivée du Vaporigène à l’établissement thermal du Teich alimentait toutes les conversations. Fernand devait impérativement réserver quelques séances à une de ses clientes qui menaçait de porter plainte auprès du médecin-inspecteur s’il ne parvenait pas à guérir « ses incessants bourdonnements d’oreille»  apparus après une douche écossaise.

L’étonnant  appareil était relié à la source Viguerie et envoyait par de gros tuyaux en caoutchouc, un mélange gazeux sulfureux sous pression à différentes températures dans les conduits auditifs.

Le Dr Lemoine était à la manœuvre, face à une patiente visiblement pleine d’appréhension.

-          Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas un procédé unique pour réveiller la vitalité des milieux de l’oreille interne et réanimer la trompe d’Eustache ?

-          C’est époustouflant en effet!, s’extasia faussement Fernand. Une prodigieuse avancée pour la science médicale!

-          Le Dr Perrin m’a chargé de vous demander d’accueillir votre ami, le Dr Garrigou à la gare demain, au train de 14H. Il nous fait une visite surprise pour découvrir cet appareil que le monde entier nous envie!

Fernand acquiesça et décampa sur le champ. Il devait quitter la ville au plus vite !


L’arrivée impromptue du Dr Garrigou risquait de révéler au grand jour sa supercherie et de lui attirer de sérieux ennuis ! Fernand fit prestement ses valises et s’accorda une dernière soirée chez un de ses patients, un avocat à la Cour de Bordeaux à l’énorme appétit. Le diner se composa d’un filet de truite en papillote suivi d’un gigot d’isard aux lentilles de Prades accompagné d’un Château Latour et d’une croustade aux myrtilles.

Le matin, Fernand prit le premier train. Bien qu’écourtée, la saison à Ax-les-Thermes s’avérait très lucrative, ces eaux étaient vraiment miraculeuses, s’amusa l’imposteur. Au printemps prochain, il officierait à Cauterets ou peut-être même Luchon ? Des stations infiniment plus mondaines où se pressaient toutes les grandes fortunes européennes…

Quant au Docteur Garrigou, il annula sa venue à Ax-Les-Thermes. Cet apôtre du thermalisme  qui était aussi un passionné de Préhistoire, préféra au très moderne vaporigène, les peintures de la Grotte ornée de Niaux, laissées par nos ancêtres Magdaléniens.