Stéphanie Chaulot

Stéphanie Chaulot en lecture

Je reviendrai

Je m’assois sur le sable, le clapotis des vagues m’apaise et m’invite à fermer les yeux.
Alors, forcément, j’y repense.

***

Je suis née le 27 avril 1984 non loin de Sisak. J’avais 7 ans quand tout a explosé.
Je m’en souviens bien. Comme si c’était hier.
C’est là que mes parents ont pris la décision de partir.
Nous avons marché, longtemps, très longtemps. Les gens nous regardaient. Je ne savais pas que ce n’était pas normal à l’époque.
Au début, c’était une grande balade. Après, c’était dur. J’étais fatiguée, j’avais faim.
Maman et papa aussi. Parfois les gens nous donnaient de quoi nous nourrir. Parfois, on marchait des heures et des heures, le ventre vide.

Et puis un jour, nous sommes arrivés. Des militaires nous ont finalement aidés, ils nous ont accompagnés jusqu’à un centre d’hébergement. Maman a dû aller à l’hôpital parce qu’elle n’avait pas assez bu. C’est ce que j’avais compris à l’époque.
Dès que nous fûmes de nouveau réunis tous les trois, une dame nous trouva un logement. Avec des papiers provisoires, papa put obtenir du travail.
Ce n’était pas facile, parce qu’on ne comprenait pas la langue, les coutumes. Certaines personnes étaient gentilles, mais d’autres très méchantes.
A l’école, j’ai appris à lire et à écrire. Alors j’ai pu aider maman avec les papiers, le soir.
Un soir, alors qu’on était que toutes les deux, je lui ai dit :
– Tu sais, quand tout sera fini, on retournera chez nous.
Elle avait souri.
Même si j’apprenais à aimer la France, une partie de mon cœur était là-bas, dans ce pays qui n’avait pas ce nom quand j’y suis née, la Croatie.
L’indépendance fut proclamée, la stabilité retrouvée. Mais maman apprit qu’elle était malade. Une sclérose en plaque. Alors, nous sommes restés.
J’ai continué mes études, rencontré des amis, des petits amis, continué à vivre.
Lorsque j’ai commencé à travailler, j’ai mis un peu d’argent de côté pour le voyage. Et puis, au moment d’acheter le billet d’avion, j’ai paniqué et j’ai renoncé. C’est bête, je sais.
Mais je me suis souvenue de cet homme rencontré dans une librairie un jour. Il recherchait un livre de voyage, sur un pays qui avait bien souffert lui aussi. Et il m’avait dit :
– J’ai bien connu, mais je n’irai plus. Ça serait trop triste de voir ce que c’est devenu.
Je savais que mon pays n’avait pas sombré, mais si…si je ne le reconnaissais plus ? Si je l’avais idéalisé ?
J’ai mis mon projet de côté, mais il continuait de me dévorer, attendant son déclic.
Comme un déclic d’appareil photo. J’adorais en faire, de la photo. Souvent, je cherchais des paysages qui ressemblaient à ceux que j’avais dans mon cœur.
Lorsque la présidente a été élue, il s’est passé quelque chose. Je n’avais plus peur.
Alors, j’y suis retournée.

En y posant le pied, une décharge électrique me parcourut. J’étais connectée. J’étais chez moi.
Dès lors, il me fallait ressentir les choses, les odeurs…
Découvrir et redécouvrir les paysages, mes paysages.
J’ai pris le bus et je suis retournée dans mon village. 26 ans. Plus rien n’était comme avant.
Ce n’était plus mon village. Ma joie sombrait dans la tristesse.
Un enfant traversa la rue. Il jouait à courir avec d’autres. Il s’amusait. Il avait ce bonheur que je venais de perdre. Ce bonheur que je n’avais pas de raison de perdre. Ma joie dissipa la tristesse.
Je m’imprégnais. Tout allait bien désormais. Les gens étaient heureux et c’était plus beau que dans mes souvenirs. Non. Juste plus vivant. Non. C’était, c’était, vieux et neuf, et magique et nostalgique et, tellement de sensations à la fois.
Je repris le bus en direction de la capitale, Zagreb. Je voulais tout revoir, tout manger, tout sentir, tout boire.
Je me baladais en ville sur la grande rue.
Jusque tard dans la nuit. J’avais envie de passer du temps avec les gens, de faire des projets ici, des projets un peu fous, ce genre de projets qui nous donnent envie de décrocher la Lune. C’était décidé, je créerai ici. J’étais amoureuse. Ce pays m’avait tellement manqué !
Au petit matin, malgré les traits tirés, je gardais mon objectif en vue. Direction la presqu’île de Premantura. J’attrapais le premier bus qui citait la direction la plus proche d’où je trouverais d’autres navettes. Ce n’était pas le moyen de transport le plus rapide, mais j’avais encore une fois besoin de tout voir, tout ressentir, de me réapproprier là où j’étais née.
Lorsque la navette s’arrêta, l’odeur de la mer m’envahit de suite. J’avais 5 ans la dernière fois.
Que tu aimais cet endroit maman.
Je marchais vers la mer. Tout était aménagé et plusieurs groupes de touristes me suivaient.
Enfin, j’arrivai. Je cherchai plusieurs minutes, l’endroit que nous nous étions choisi.
Notre endroit.
Une fois trouvé, j’ouvris mon sac. Je m’assis sur le sable, le clapotis des vagues m’apaisa et m’invita à fermer les yeux.
Je pris une profonde respiration et la sortis, l’urne. Tu es chez toi, maman.
J’ai passé des années à hésiter, avec cette peur qui me paralysait. Combien de fois j’ai hésité à acheter ce billet d’avion. Cette promesse m’a portée. Je lui avais promis.
Alors, nous sommes revenues.

Biographie de Stéphanie Chaulot

Stéphanie Chaulot est une autrice française, née en 1984, diplômée en Lettres Modernes et Communication. Forte d'une expérience de plusieurs années dans l'enseignement, la formation et l'édition, elle exerce aujourd'hui ses compétences comme indépendante.
Elle rédige des ouvrages éducatifs sur des auteurs classiques, édité chez Ebook-malin. En parallèle, elle est co-fondatrice de l'association humanitaire et éducative Objectif Mada depuis 2010. Elle participe également à des guides touristiques, ainsi qu'à des ouvrages collectifs entre 2011 et 2013.
Son premier roman, Et puis tout recommencer, est paru en 2007. 

 

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