Les Éditions du commun et les Éditions ça et là disent SCOP et encore

Entretien de Philippe Gagnebet avec Serge Ewenczyk, créateur des Éditions çà et là, et Sylvain Bertrand, co-fondateur des Éditions du commun

Dessin © Julien Revenu

Très différentes dans leur ligne éditoriale et leur histoire, les deux petites maisons d’édition indépendantes ont choisi de se transformer en sociétés coopératives. Un choix qui reflète leurs façons d’appréhender un secteur en plein bouleversement. Entretien avec Serge Ewenczyk, créateur des Éditions çà et là, et Sylvain Bertrand, co-fondateur des Éditions du commun.

Deux domaines bien distincts, deux régions différentes, mais deux anniversaires en commun et, surtout, une seule façon de voir l’avenir : évoluer sous le statut coopératif, consolider des aventures éditoriales partagées.

Pour les Éditions du commun à Rennes (Ille-et-Vilaine) et les Éditions çà et là à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), l’année 2025 marquera le passage en SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) pour la première, en SCOP (Société coopérative participative) pour la seconde.

Selon Serge Ewenczyk, créateur des Éditions çà et là en 2005, « il s’agit d’une remise en question, d’un nouvel élan, un défi intellectuellement stimulant et comptablement correct ». Cet ancien du monde de l’animation et du dessin animé s’était lancé seul dans l’édition de romans graphiques, essentiellement pour adultes, avec une particularité, ne publier que des auteurs, dessinateurs ou illustrateurs étrangers. Vingt ans plus tard, la petite maison installée à une cinquantaine de kilomètres de Paris, compte quatre salariés, qui vont se partager équitablement les parts sociales de l’entreprise. « Nous avions quelques fonds propres, pas de surendettement, on a décidé de franchir le pas avec ce statut de SCOP, vraiment collégial, vraiment génial », dit le désormais président éditeur.

Accompagnée par l’Union Régionale des SCOP, l’ancienne SAS (Société anonyme simplifiée) a transformé ses statuts en moins de quatre mois. Avec un chiffre d’affaires annuel autour de 450 000 euros, le capital social a été réduit à 2 000 euros, chaque salarié prenant une part à hauteur de 500 euros. Les fonds propres seront transformés en « réserves impartageables », les bénéfices entièrement destinés au fonctionnement de la coopérative, sans redistribution de dividendes éventuels. Surtout, les quatre associés vont mieux se répartir les tâches et les décisions. « Pour moi, c’est une remise en question, une façon d’alléger ma charge mentale et de consolider les liens de confiance qui nous unissent », précise Serge Ewenczyk.

Se démarquer et devenir « robustes »

À Rennes, l’histoire est plus chaotique, dans un domaine, celui de la critique sociale ou politique et de la poésie, où trouver sa place relève du grand défi. Créées en 2015, sous forme associative par Benjamin Roux et Sylvain Bertrand, les Éditions du commun entament en 2025 une transformation en SCIC. « Nous avons décidé de repenser notre stratégie, d’élargir la participation, d’évoluer dans un cadre qui correspond à notre ligne éditoriale », commente Sylvain Bertrand.

Dans une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), statut créé en 2001, les associés sont divisés en trois catégories : les salariés, les personnes bénéficiaires des produits ou services de la SCIC, et les autres comme une collectivité locale ou une association, mais, là encore, aucune d’entre elles ne peut avoir plus de 50 % du capital. Avec cette transformation, les Éditions du commun veulent intégrer (avec des parts sociales fixées à 100 euros) des lecteurs, auteurs, imprimeurs, libraires, ou des associations amies. « On publie environ trois ouvrages de poésie par an, avec de nouvelles écritures qui bousculent, précise Sylvain Bertrand. Pour nous, il s’agit de consolider un réseau existant, dans un univers très instable. »

Pour les Éditions çà et là, même constat : « Nous avons eu la chance de connaître des années 2022 et 2023 assez exceptionnelles, avec des prix au Festival d’Angoulême par exemple. Mais nous sommes au cœur d’un bouleversement du monde de l’édition, avec la concentration de grands groupes ou le risque colossal de censures venant des États-Unis », estime Serge Ewenczyk.

Pour les deux maisons indépendantes, et qui tiennent à le rester, il faut se démarquer et adopter le paradigme de la « robustesse » tel que l’a conceptualisé Olivier Hamant, chercheur en biologie et biophysique, dans son ouvrage Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant (Galimard, 2023). Il s’appuie sur ses travaux pour prôner un modèle de société qui s’affranchit du paradigme de la performance menant à une impasse inévitable pour renouer avec le vivant et sa capacitation à trouver des chemins alternatifs, à se stabiliser, à survivre, à s’adapter dans un environnement, un contexte imprévisible, soumis aux aléas. Il invoque donc la « robustesse » comme nouvelle boussole pour les actions et les organisations, et comme nouvelle posture, à la fois engageante et transformatrice, pour tenir bon et longtemps dans un monde fluctuant.

Les Éditions du commun et les Éditions ça et là disent SCOP et encore © Julien Revenu


Pas un outil « magique » mais une voie de résistance

Pour ces historiens de formation – ou autrice et journaliste comme la directrice éditoriale Juliette Rousseau – au sein des Éditions du commun, ces notions résonnent dans leurs démarches. « En Bretagne, la présence de coopératives est historique, note Sylvain Bertrand. Nous pensons que l’organisation interne est un outil politique, un gage de robustesse comme vous dites. » Dans la cité bretonne, des librairies telles que L’Astrolabe et L’Établi des mots, ainsi que l’imprimerie Média Graphic, partenaires historiques, ont adopté également le statut coopératif. « On l’a vu récemment avec la baisse des subventions de certains Conseils régionaux, la baisse générale des ventes de livres ou le contexte international, il nous faut porter d’autres valeurs », insiste Sylvain Bertrand.

Pour Serge Ewenczyk, « oui, il faut se démarquer, mais il faut également se faire connaître, résister en quelque sorte ». Très impliqué dans le Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), ce passionné du magazine Métal Hurlant revendique aujourd’hui plus de dix titres par an, diffusés dans environ 2 000 points de vente. Dans cette sorte de niche éditoriale, de quête d’auteurs uniquement étrangers, il pointe des frais d’impression qui atteignent 42 % des dépenses. « Chacun ses contraintes pour les maisons de notre taille, mais nous devons porter ces valeurs coopératives, c’est cela qui nous rassemble et nous différenciera. »

Au sein des Éditions du commun, l’année 2025 sera une année charnière. Avec un seul salarié, un travail important mené sur l’organisation interne, le succès est parfois au rendez-vous. Certains titres de la collection « Poésie » atteignent les 8 000 ventes. Pour fêter ce dixième anniversaire, tout un programme de signatures, présences dans des salons, d’élargissement et de consolidation du réseau, a été entrepris. « Le passage en SCIC devrait être effectif cet été », espère Sylvain Bertrand. « Mais on ne se trompe pas, il ne s’agit pas d’un outil magique, juste d’une sorte d’enveloppe qui nous convient parfaitement », conclut-il.

Du côté des Éditions çà et là, les salaires ont été harmonisés, chacun suit ses projets éditoriaux, les décisions concernant le choix des auteurs jusqu’à la conception graphique sont prises en commun. « Nous étions les seuls il y a vingt ans à publier des auteurs étrangers et on a eu la chance, ou la reconnaissance, de se faire une petite place. Cela prouve qu’il ne faut jamais transiger », peut savourer Serge Ewenczyk.

En 2023, la Fédération des éditions indépendantes avait recensé 2 240 éditeurs en France. Les enquêtes menées fixaient le cap à cinq ans d’existence en moyenne pour les nouvelles structures. Le nombre de titres ne cesse d’augmenter, atteignant 100 000 titres par an dont 65 000 nouvelles éditions. Parmi ces éditeurs, seule une vingtaine a choisi aujourd’hui le statut coopératif.


Philippe Gagnebet, journaliste