Refaire circuler l’imaginaire à l’intérieur de notre rapport au monde
*La recherche-création est une démarche qui articule pratiques artistiques et recherche universitaire en favorisant l’émergence de connaissances et d’innovations par l’expression créative, l’analyse scientifique et l’expérimentation.
**L’écologie mentale est l’un des trois registres de l’écologie (environnementale, sociale et mentale) définis par Félix Guattari (Les Trois écologies, première édition en 1989 aux éditions Galilée).
***Manières de faire des mondes, Nelson Goodman, première édition en 1992 chez J. Chambon, réédition en 2006 chez Folio, traduit de l’anglais par Marie-Dominique Popelard.
Pour aller plus loin :
ecopoetiqueetcreation.wordpress.com
epokhe.hypotheses.org
Interview de Jean-Christophe Cavallin parue dans le dossier thématique « L’écologie du livre en région Provence-Alpes-Côte d’Azur » sur le site de l’agence régionale pour le livre.
Tire-Lignes : En quoi consiste le master « ÉPOKHÉ écopoétique et création » ?
ÉPOKHÉ : Dirigée par Jean-Christophe Cavallin, Christine Marcandier et l’écrivain Boris Le Roy, cette formation à distance mobilise les sciences sociales, la philosophie et la création littéraire pour proposer des récits susceptibles d’imaginer d’autres versions du monde et formes de vie collective. Alternant cours théoriques, séminaires spécifiques et travaux de création, les étudiantes et étudiants développent pendant les deux années du master un mémoire de création littéraire en écopoétique (roman, récit, non-fiction, recueil poétique, théâtre...).
T.L. : Quels sont les enjeux et les débouchés d’une telle formation ?
É. : La formation prépare à des métiers variés dans les domaines de la littérature ayant un lien avec l’écopoétique, comme écrivain, dramaturge ou traducteur, mais aussi dans l’édition, le journalisme, le multimédia, l’événementiel et la documentation. Elle offre également la possibilité de poursuivre un travail de recherche en doctorat, notamment dans le champ émergent de la recherche création*. Nous travaillons avec différents partenaires, comme les éditions Wildproject, le journal en ligne Diacritik, le Centre international de poésie Marseille (CipM), le Centre Georges-Pompidou dans le cadre du festival Extra!, le festival Le Murmure du Monde, le festival Mimos (théâtre de l’Odyssée), etc.
T.L. : Quel(s) rôle(s) ont à jouer les études et la création littéraires dans l’évolution des manières de penser et d’agir pour faire transiter vers un monde plus écoresponsable, plus soutenable ? Comment ?
É. : L’homme se découvre en prédateur dans le pouvoir de destruction de son propre environnement. En réponse aux scientifiques qui tirent la sonnette d’alarme, certains dirigeants répètent que « notre mode de vie n’est pas négociable ». Contre cet argument, les études et la création littéraires ont un rôle à jouer. S’il est à ce point impossible de changer notre « mode de vie », c’est parce que ce mode de vie est intimement lié à un certain « mode de pensée » que l’on pourrait définir comme un grand monologue humain. Dans cette révolution de notre écologie mentale**, la création littéraire a un rôle à jouer en tant que force productrice de récits susceptibles d’imaginer d’autres formes de vie collective et d’autres versions de monde***.
Des passerelles sensibles
Mathilde Walton, directrice du Murmure du Monde
(Arrens-Marsous, 65)
Au tournant des années 2020 sont nés le premier festival écopoétique et le premier master de cette discipline qui ont naturellement construit une relation symbiotique où, chaque année, des étudiantes et étudiants trouvent leur place dans la programmation parmi la vingtaine d’autrices et d’auteurs invités. Le Murmure du Monde a ainsi proposé au public du festival des ateliers d’écriture spécifiques conçus par les étudiantes et étudiants. Certains de leurs textes ont été portés à la scène comme le remarqué Petromelancholia écrit par Amélie Mouton en 2023 dans le cadre d’un enseignement du master et joué en altitude sur un col de montagne. Certaines de leurs propositions sensibles, notamment par leurs formats hors cadres, ont marqué les mémoires à l’image des performances littéraires écopoétiques de Geneviève de Bueger en 2021 et 2022... En 2025, elle revient en tant qu’autrice publiée. Dès la première édition du festival, Anna Jousselin signait la mise en scène d’une pièce de théâtre en forêt écrite par Lucas Mengual, un condisciple du master. Aujourd’hui encore, elle met en scène des créations du Murmure et travaille même quotidiennement à nos côtés, consolidant l’équipe professionnelle. C’est donc un partenariat fécond qui colore le festival d’une énergie toute singulière et offre à des étudiantes et étudiants l’occasion d’expérimenter une « littérature de terrain » qu’appellent la bascule écologique et l’effondrement du vivant.

Jean-Christophe Cavallin © DR

Christine Marcandier © DR
