Exclusion assumée, valeurs incorporées ou autocensure : ces œuvres, rejetées, oubliées, écartées, que les intermédiaires culturels ne choisissent pas
Dessin reproduit avec l'autorisation de Jiho
À partir d’une enquête sur la constitution et la valorisation de collections de bibliothèques publiques, ce papier se propose d’inventorier succinctement les facteurs qui interviennent dans le processus de choix, et plus spécifiquement dans les choix en creux que constituent les œuvres écartées ou non considérées par les intermédiaires culturels, qui, en sélectionnant les œuvres « de valeur », participent aussi à produire cette valeur.
Le choix recouvre à la fois ce que l’on retient (ce qui est le plus souvent analysé dans les travaux sur les politiques d’acquisition ou de programmation) et ce que l’on ne retient pas (moins visible, plus difficile à saisir, mais qui révèle en creux la complexité des critères à l’œuvre). Parmi ces choix négatifs, l'exclusion contrainte (ou censure) a donné lieu à des travaux.
Qu’en est-il des exclusions apparemment non contraintes ? Sur quels critères reposent-elles ? Qu’est-ce qui, parmi eux, concerne l’œuvre elle-même ? Qu’est-ce qui, au contraire, tient plutôt de l'évaluateur lui-même, de ses conditions d’exercice et de ses schèmes de perception ? Comment analyser enfin l’autocensure d’œuvres écartées par un évaluateur pourtant convaincu de leur valeur ?
Le choix combine ainsi des critères qui tiennent aux propriétés objectives de l’œuvre et à la subjectivité du sélectionneur. Éminemment sociale (et donc en partie objectivable), celle-ci résulte de sa socialisation (ce qui l’a construit comme tel) mais aussi des conditions d’exercices de son jugement, et de l’autonomie dont il bénéficie. Sa manière d’anticiper les risques – en assumant ses choix ou en y renonçant – dépend elle-même des ressources dont il dispose au moins autant que de sa personnalité ou sa stratégie.
Cécile Rabot © DR
Sociologue de la culture, maîtresse de conférences à l'Université Paris Nanterre Cécile Rabot y est responsable du master Métiers du livre et de l'édition. Elle est également directrice adjointe du Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Ses recherches portent sur les professions et institutions culturelles qui participent à faire exister la littérature et à construire sa valeur et sa visibilité. Elle a notamment publié La Construction de la visibilité littéraire en bibliothèque (Presses de l'enssib 2015) et Ados & bibliothèques t.2 : Politiques d'accueil (Lecture jeunesse 2018, en ligne). Elle a codirigé avec Gisèle Sapiro Profession ? Écrivain (CNRS Éditions 2017) et coordonne un numéro de revue sur la lecture numérique à paraître en 2020 dans Biens symboliques/Symbolic Goods.